Les 9 et 10 novembre prochains, sur la Croisette, à l’hôtel Martinez-Hyatt, se tiendra le rendez-vous des milliardaires, particulièrement venus de Chine, d’Inde, de Russie et des ex-pays de l’Est…qui cherchent des pays accueillants, en termes de bienveillance fiscale que l’on appelle plus trivialement des paradis fiscaux (1).
Une manifestation tout ce qu’il y a de légale et qui fait honneur au maire et plus généralement à la majorité régionale LR, au gouvernement et à l’Union européenne qui n’y voient que de l’intérêt…si l’on peut dire.
A tel point que des Etats de l’UE comme Malte et Chypre, aux côtés de paradis fiscaux patentés y exposeront ainsi que les plus grands cabinets spécialisés dans l’immobilier de luxe, les affaires et la fiscalité…Inutile de préciser que l’entrée ne sera pas libre. Il faudra déjà acquitter 1 000 euros pour y accéder plus 500 pour participer à la soirée de gala !
Le cabinet russe Immigrant Invest résume assez bien l’objectif d’un tel salon : “Nous devons trouver pour nos clients la meilleure combinaison entre avantages fiscaux et avantages de citoyenneté ou de résidence…” Ce qui veut dire qu’on y propose aussi des “visas dorés” qui permettent à des personnes possiblement corrompues de travailler et de voyager dans toute l’UE, note l’ONG “Transparency International Europe qui vient de produire un rapport tout récemment sur la transparence nécessaire dans le cadre de la lutte pour le blanchiment.
On en est loin et même très loin. Le marché des visas dorés représente pas moins de 13 milliards par an à l’échelle internationale estime l’ONG et a généré 25 milliards d’investissements étrangers en une décennie, dont 4,8 Mds pour Chypre depuis 2013.
Autre exemple, la société Property Malta, à ce même salon, en 2017, pouvait déclarer que “l’île est aujourd’hui le siège de 200 multinationales spécialisées dans la finance et dans le jeu en ligne.” Elle garantit une imposition à 0% à ses postulants à la citoyenneté sur tous leurs revenus réalisés à l’étranger et seulement 5% d’impôts sur les sociétés maltaises ainsi qu’une TVA à 5,4% sur les yatchs de luxe.
Il faut compter plus d’un million d’euros pour une famille pour s’acheter la nationalité maltaise Mais ici on n’accueille pas les migrants, seulement les milliardaires !
Elle est pas belle la “concurrence libre et non faussée” au sein de l’UE ? Et elle fait des petits. Au Portugal, même des catégories sociales moins fortunées, se voient offrir un avantage fiscal considérable : 10 ans d’exonération d’impôt sur les revenus ! Du coup l’immobilier flambe, les prix aussi. Mais la France tient la corde mondiale pour ce qui est du rendement des dividendes servis aux actionnaires !
Après la révélation des Panama Papers début 2016, le préjudice de l’évasion fiscale des entreprises et des grandes fortunes était estimé entre 86 et 207 Mds d’euros selon les Etats et à 350 milliards de pertes de recettes fiscales par an dans le monde, selon le consortium international des journalistes d’investigation. (Le Figaro du 7-11-17)
Telle est la finalité d’un tel salon d’automne sous le ciel bleu de Provence qui n’a, officiellement, sensibilisé aucun média, aucune autorité politique. Avec un peu de pub, on fera taire les critiques…
Cela se passe au moment où le procès de la banque suisse UBS vient de s’ouvrir devant la justice pour son action illicite de recrutement de clients français, révélée dès 2009 par les lanceurs d’alerte. En 2017 une autre banque, HSBC avait proposé de payer une amende de 300 millions d’euros après avoir reconnu une fraude de 1,6 mds ! Ainsi s’achète la discrétion pour éviter la sanction pénale. Ils appellent ça la “convention judiciaire d’intérêt public”.
Un sujet abordé le 9/10/18 par le sénateur communiste Eric Bocquet, en séance publique et dont vous n’entendrez pas plus parler que le salon pour milliardaires de Cannes début novembre. (2)
Il a aussi abordé la question du “verrou de Bercy” qui laisse au ministre le soin de décider qui on poursuivait ou pas, parmi les fraudeurs fiscaux. Pour le groupe CRC qui n’a pas voté la loi, le verrou est toujours là, un peu desserré mais comment améliorer l’efficacité des contrôles en supprimant 2 130 postes au sein de la direction générale des services fiscaux l’an prochain ? Le nombre des contrôles ne peut aller qu’en sens inverse.
Ce qui est le but recherché : réduire les charges des entreprises et supprimer les contrôles, les règlementations. Place à la privatisation des services publics partout, en France et en Europe qui ne voit pas la Suisse comme un paradis fiscal, ni Monaco, ni le Luxembourg, ni l’Irlande, ni les Pays-Bas…De 17 les technocrates du libéralisme n’en comptent plus que neuf en Europe ? Sidérant. Et ils laissent faire leur promotion à Cannes et ailleurs ?
On est dans le cyclone et il s’en trouve pour dire que la finance pourrait se laisser réguler ? Alors que nous vivons le contraire et qu’elle fuit en avant dans la guerre commerciale et les conflits armés, pour sauvegarder les taux de profits exigés des actionnaires. Et ce à l’échelle mondiale. Ses fondés de pouvoir sont à la tête de la plupart des “grandes” puissances comme des institutions. L’UE en est une.
Une Europe qui protège qui ?, qui harmonise quoi ?, parlons-en. Cette Europe-là est entièrement vouée aux objectifs du capital, des marchés financiers, d’une mondialisation qui se fait sur le dos des peuples et pour le seul profit des “premiers de cordée”. Tant qu’on se refusera à voir que la crise systémique en cours -et toutes ses conséquences pour la planète et les humains- a pour cause directe et principale la dictature de la finance qui peut conduire à une autre dictature, celle des pires démagogues à l’extrême-droite. Eux ne remettent pas en cause le système, ils veulent le sauver.
La fausse équation posée par Macron qui se range parmi les”progressistes contre les nationalistes” est un piège grossier pour faire diversion et masquer les véritables enjeux du prochain scrutin qui sont avant tout sociaux, écologiques, démocratiques. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
En attendant, si la Croisette vous attire, début novembre, n’oubliez pas la carte bleue.
René Fredon
(1) Révélations de l’Humanité du 11 octobre 2018 p.4,5,et 6
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