Le projet d’aménagement du port de Toulon “de Mayol à Pipady” qui a dû être revu depuis la cession par l’Etat de 3,5 ha du site de la l’arsenal du Mourillon, a été présenté le 25 février dernier et continue de susciter quelques interrogations sur l’impact urbain et plus généralement environnemental ainsi que sur les retombées économiques présentées comme une chance à ne pas laisser passer pour la métropole et le Var, en termes d’emplois généreusement évalués.

Le président Falco a eu beau certifier qu'”il n’y aura pas de marina“, pas de bétonnage de l’espace extérieur qui couvre 44 ha, englobe l’immeuble de l’ex DDE et celui des pompiers, ce quartier dense qui s’est déjà “allégé” de l’immeuble de la “Carte postale” n’est pas complètement rassuré, en l’absence de plans plus détaillés.

Le samedi d’après, on apprenait que le parking de 320 places avec terrasse panoramique, prévu sur le terre-plein de la CCI qu’H. Falco avait défendu becs et ongles, était abandonné.

Il devait être mis en service à la fin de 2019. Les riverains y étaient hostiles, ils sont satisfaits ainsi que leur CIL qui avaient fait valoir la non-conformité de cet ouvrage avec le PLU. Cela leur gâtait quelque peu la vue : comme quoi l’action collective est utile.

Officiellement le dossier présentait des failles et le permis de construire, délivré par l’Etat, risquait de n’être pas accordé. Un autre permis pourrait être déposé ?

Pour ne pas en rester sur cette mauvaise note, une autre page du quotidien régional VM, le même jour, donnait la parole aux entreprises de la grande plaisance qui tenaient à ce que les travaux prévus ne soient pas ralentis (Monaco Marine, Foselev et IMS) et, petit message annexe, que les très grands yachts accueillis en permanence, le soient de préférence au Mourillon plutôt qu’à La Seyne ! Ils demandent aux pouvoirs publics de réaliser ces aménagements et bien entendu de les financer.

Avec comme argument que “l‘accueil des yachts, c’est l’assurance de retombées bien supérieures encore à celles générées par l’activité croisières.” Si l’on en croit Laurent Falaize, le président de Riviéra Yachting Network, “d’ici 10 ou 15 ans on peut doubler le nombre de places de ces grands yachtsde 25 à 65 m”.

Pourtant, le 28/8/2017, le même journal titrait : “la filière des yachts de luxe en plein doute” ? Et de faire le constat que le quai des milliardaires à Antibes est quasi-désert…idem à Cannes et à Saint-Tropez…(1)

En région aussi la concurrence est rude

Laurent Falaize, également patron de Fioul 83, y constate que  “Nos commandes de gasoil détaxé ont chuté de moitié.”

Mais ce professionnel qui est aussi président de l’association Riviera Yachting Network regroupant 80 entreprises de réparation de yachts, s’inquiète plus encore pour l’avenir des chantiers navals: “Si les bateaux ne sont plus là, les chantiers de la Ciotat, la Seyne ou Saint-Mandrier risquent de fermer alors même qu’ils ont réalisé ces dernières années des investissements de plusieurs dizaines de millions d’euros pour rester compétitifs. C’est du gâchis!”

Nos ports, victimes de la concurrence de ports en Méditerranée, nos voisins du sud, au sein même de l’UE ? Non, pas possible, quelle découverte ! Ils détaxent le gaz-oil pour attirer les plus riches clients, les exonèrent de la TVA et il faudrait que la France fasse de même en plus de leur construire des quais aménagés ? Mais que vont dire les contribuables ? Il y avait des niches fiscales pour ça, en France, jusqu’en 2013.

En 2019 Macron ne rétablit pas l’ISF et ces chefs d’entreprises lui demandent d’exonérer les pauvres milliardaires des taxes pour les inciter à choisir nos ports, en plus de financer leurs places de “parking” sur le domaine public maritime ? Sinon ils feront jouer la concurrence. Telle est la réalité, ou plutôt le chantage et le risque d’une sur-évaluation de ce secteur très haut de gamme visant une catégorie sociale très élitiste qu’il est tout à fait indécent de privilégier !

Autre chose est de développer la croisière collective. Elle concerne un autre type de clientèle qui accède peu à peu à cette forme de tourisme de masse qui tend à se démocratiser même si l’on est loin du compte. Mais au moins y a-t-il une tendance positive. Idem pour les transports maritimes de voyageurs et de marchandises.

Sur notre littoral aussi la concurrence est rude. Ainsi à La Ciotat, la ville avec le soutien de la métropole Aix-Marseille-Provence, a décidé de devenir “futur village mondial de la grande plaisance” à l’horizon 2024 (La Provence 10/7/18) (2)

L’ambition en tout cas est clairement affichée : construire “ un village d’entreprises spécialisées dans l’entretien, la réparation et la transformation (refit) de mégayachts; un espace dont les dimensions et les compétences qui s’y trouveront concentrées, devraient faire de ce site industriel, l’un des plus importants pôles internationaux dédié à la très grande plaisance”.

A 40 km de Toulon…voilà qui promet de sérieuses rivalités d’autant que le port de Marseille lui-même n’entend pas être dépossédé de ce créneau. Nous sommes dans la même région pourtant, la concertation n’a pas l’air de fonctionner et la poule aux oeufs d’or aura du mal à les pondre partout !

Il ne s’agit pas de jouer les Cassandre, pas plus que de laisser les professionnels intéressés commander les travaux publics qui les intéressent, être juges et parties, alors que le bon sens invite à une plus grande concertation à l’échelle régionale s’agissant de chantiers de cette ampleur, plutôt que de lancer un peu partout des opérations lourdes dans un contexte aussi incertain s’agissant des grands yachts privés qui choisiront toujours les chantiers les moins chers et ils les connaissent ! La mondialisation les a même fait prospérer.

Même s’il faut mettre les bouchées doubles pour créer des emplois industriels qui continuent à reculer, c’est en développant les coopérations et les formations aux métiers de la mer, notamment, en sollicitant l’économie sociale et solidaire, les circuits courts, en passant la vitesse supérieure de la transition écologique en lien avec l’agriculture, protectrice de la nature grâce à une plus grande présence des femmes et des hommes, pour la valoriser et la rendre durable.

Il y a bien d’autres pistes pour inverser la courbe du chômage qui n’est pas une fatalité.

Les grands yachts et le GP de France ne sont que poudre aux yeux…en termes d’emplois pérennes. Mais très lourds en investissements publics. Et puis, pour stimuler la création d’emplois, pourquoi ne pas imiter, une fois n’est pas coutume, la décision toute récente de la chancelière Merkel (sur le départ), d’augmenter les salaires très substantiellement ?

Ce que Macron et d’autres se refusent à faire car cela remet en question les politiques d’austérité et le pouvoir des Etats en la matière ainsi que la notion de “marché efficient”.

Et si l’on partait des besoins sociaux réels, pas des exigences des actionnaires. Les services publics (Hôpitaux, éducation, transports, justice, sécurité…), les entreprises industrielles à capitaux publics comme l’arsenal, devenu Naval-Group, voient leurs effectifs fondre, leurs conditions de travail se dégrader, leurs missions externalisées et leurs statuts voués à disparaître, tandis qu’en France chaque jour annonce une nouvelle saignée de destructions industrielles. La fatalité…sans doute ?

Et l’on veut, ici, nous faire admirer les yachts de milliardaires, comme une vitrine de magasin à rêves. En leur offrant à nos frais les aménagements qui leur conviennent !

Tout se tient.

 

René Fredon

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) https://www.nicematin.com/economie/la-filiere-des-yachts-de-luxe-en-plein-doute-162633?t=NWI1OGZjZmMxZmRkMDgxZjk2MjIyYzQyOGIxMjU5ZjBfMTU1MTcxMTgzMTE0MF8xNjI2MzM%3D&tp=viewpay             (28-8-17)

 

 

(2) https://www.laprovence.com/article/edition-aubagne-la-ciotat/5059460/la-ciotat-futur-village-mondial-de-la-grande-plaisance.html    (10-7-18)

 

 

https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/10562       (avril 2017)

https://www.meretmarine.com/fr/content/la-ciotat-feu-vert-au-projet-de-village-dentreprises-dedie-au-yachting          (29-6-18)

 

 

https://www.econostrum.info/Les-ports-de-Mediterranee-investissent-sur-les-croisieres_a13883.html    (28-3-13)

Port de Toulon : attention aux mirages !

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