L’intervention télévisée d’Emmanuel Macron avait une dimension historique ce lundi 10 décembre 2018 : allait-elle répondre aux exigences sociales et fiscales qui avaient surgi d’un mouvement citoyen inédit mobilisé depuis 4 semaines ou pas ? Et donc y mettre fin ou non ?

La réponse leur appartient mais elle concerne tous les Français.es qui leur témoignent leur sympathie et leur soutien tant cette mobilisation porte sur des réalités très matérielles sociales et fiscales, notamment dont l’urgence, visiblement, échappait à ce pouvoir et à son chef l’incarnant de manière très personnelle.

Sur le fond, le gouvernement avait dû il y a quelques jours, sous la pression des actions quotidiennes des gilets jaunes, lâcher quelques miettes : l’annulation des taxes sur les énergies, en deux temps, qui est apparue assez dérisoire, tout en ne devant rien à la volonté d’un gouvernement arc-bouté sur sa certitude de tenir le bon cap et de ne céder sous aucun prétexte.

Chacun attendait Macron au tournant de son quiquennat pour donner aux plus fragilisés par les politiques d’austérité -ils sont les plus nombreux, beaucoup trop nombreux- l’impression qu’ils avaient été compris, pas seulement entendus.

Macron leur propose dans l’immédiat…64 euros de plus pour le Smic en plus des 34 prévus initialement, soit au total 100 euros. Ce n’est pas négligeable, certes, chacun appréciera. D’autant que ce coup de pouce ne se renouvellera pas automatiquement. Et puis il sera financé par la prime d’activité payée par les contribuables. Astuce ou escroquerie ?

Il a annoncé l’annulation partielle de la CSG prélevée en 2018, jusqu’à 2 000 euros de pension (et non plus 1200) mais elles ne sont pas indexées sur le coût de la vie, le rétablissement de la défiscalisation des heures suplémentaires sans cotisations ni taxes, l’attribution d’une prime de fin d’année…à la charge des entreprises (si elles le peuvent), c’est toujours bon à prendre.

C’est à peu près tout et c’est à mettre au crédit de la lutte des gilets jaunes, pas de la compréhension du gouvernement ! Certains y verront une avancée de nature à faire une pause, d’autres en prendront acte bien que le compte n’y soit pas pour exiger très concrètement que soit sollicité ce que Macron ne veut pas toucher : l’ISF et plus généralement les privilèges du capital qui disposent de réserves énormes, sans parler des exonérations accordées par l’Etat, de la fraude et de la dissimulation fiscale. Et ça dure depuis très longtemps en effet.

Le chef de l’Etat a bien souhaité “que les plus fortunés aident la France à réussir” mais sans toucher au grisbi, sinon par des “incitations fiscales”, ajoutant que “revenir en arrière nous affaiblirait” ! Ben voyons. Suivez son regard.

Déjà, avant même son intervention, son ministre de l’économie B. Le Maire se répandait en parlant de “catastrophe, les -0,1% de PIB au 4è trimestre que nous coûtent les manifestations…” tandis que Darmarin à propos de “son” budget des comptes publics  affirmait “qu’on ne change pas toutes les semaines de politique économique.”

De fait, il n’y a pas de changement de cap. Les petits continueront de payer pour les gros. Le CICE doublera à 40 milliards en 2019, donné aux entreprises sans contrepartie, l’Impôt sur la fortune ne sera pas rétabli. Pourtant les 500 plus frandes fortunes de France ont vu leur patrimoine doubler en dix ans (600 milliards). 60% des bénéfices des grandes entreprises vont aux actionnaires. Les salaires des grands patrons tournent autour de 5 millions par an en moyenne et on voit à travers le PDG de Renault-Nissan ce qu’il en est de leur sens civique.

Pourquoi ne pas imposer à la source les bénéfices des multinationales ? comme le propose le groupe communiste dans une proposition de loi ?

Impossible de ne pas relier les objectifs sociaux et fiscaux portés par les gilets jaunes avec les moyens financiers dont dispose la France qu’il suffirait de répartir tout autrement, ce qui suppose des droits nouveaux dans les entreprises et dans les institutions pour que le peuple enfin s’en mêle.

Ce n’est pas ce que Macron entend à travers “l’Etat d’urgence sociale” dont il concède la formule et qu’il assortit du retour au calme dans la société. Mais qui donc a mis le feu aux poudres de l’injustice, des inégalités sociales, fiscales, démocratiques -voir la représentation à l’assemblée- devenues insupportables aux revenus les plus faibles, les plus modestes, à toutes ces familles qui basculent dans la précarité et trop souvent stigmatisées par des propos culpabilisants.

  1. Macron a fait, du bout des lèvres, un semblant de méa-culpa -l’exercice lui est très difficile- il s’est employé surtout à dissuader les manifestations, à cause des violences qui s’y greffent, tout en mettant en cause “les oppositions qui veulent en profiter” pour affaiblir le pouvoir.

Il a lancé un grand débat national “que je coordonnerai moi-même” a-t-il dit, pour tenter de calmer les ardeurs de ceux qui ont compris que rien ne s’acquiert sans luttes et pour éviter que la contagion des résistances aux politiques ultra-libérales qu’il conduit, ne converge vers des objectifs à la mesure des aspirations populaires.

Mais s’il est amené à différer certaines “réformes”, il n’a nullement l’intention d’y renoncer. La chose est claire. Donc le président des riches tient ferme la barre, quitte à être sérieusement balloté par les turbulences qui ne paraissent pas devoir s’apaiser.

Il n’a fait aucun diagnostic de l’origine et de la nature de la crise profonde qui traverse tous les continents, notamment le monde occidental où sévissent la guerre commerciale et l’instabilité, les conflits incessants, où s’éloigne le mythe de la “mondialisation heureuse” sous l’aile d’une finance jamais rassasiée et qui gouverne les Etats, en attendant la prochaine grande dépression, d’après 2 008.

Il ne peut guère compter que sur sa majorité parlementaire pour remonter le courant de sa popularité déclinante.

La crise sociale, politique, démocratique, écologique…n’en est qu’à son début.

 

René Fredon

 

 

 

 

 

 

Macron décevant…sur la forme et sur le fond

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