On a l’impression que l’impératif absolu, alors même que le covid-19 amorce une légère décrue, c’est de reprendre le travail “quoi qu’il en coûte”en même temps que l’on espère tenir à distance le risque d’une deuxième vague, compte tenu que nous avons très peu de personnes contaminées par le virus : 5,7% selon une étude de l’Institut Pasteur avec l’INSERM et Santé publique France.
La tendance est à moins d’entrées que de sorties, moins en réanimation également, c’est encourageant. Mais il n’y a toujours pas assez de tests, pas de vaccin à court terme, des traitements limités, certains contestés, ce qui fait polémique. Là-dessus, le 1er ministre vient nous dire que “nous devons nous préparer à vivre longtemps avec le virus” sans plus de précision, la prévention de toute vague infectieuse restant essentielle.
En raison de la faible immunité de la population et d’une possible moindre résistance que prévue des anti-corps secrétés par les malades infectés, les conditions d’une “immunité collective” ne sont pas réunies. Le respect des gestes barrières, la production de tests rapidement et en nombre de manière à pouvoir isoler les porteurs demeurent la priorité.
Ce mercredi, dans la foulée, les ministres remettaient leurs plans d’action à E. Philippe, en gardant l’hypothèse du 11 mai comme date de fin du déconfinement qui devrait s’étaler sur plusieurs semaines si les indices sanitaires le permettent.
Depuis le 17 mars le déconfinement a permis de réduire l’infection de 3,3 personnes par personne contaminée à 0,5 ce qui a permis, au prix d’efforts inouis des soignants, d’accueillir et soigner tous les malades avec l’abnégation que l’on sait, jusqu’à y perdre la vie.
C’est donc dans des circonstances toujours très préoccupantes que le confinement devrait être levé le 11 mai avec l’assentiment des scientifiques, les risques établis n’étant pas à sous-estimer. “La circulation du virus reste à un niveau élevé” souligne le directur de la santé.
Un “retour à la normale” ? pas vraiment. Sans même le temps d’un vote du Parlement sur le plan d’action que viennent de remettre les ministres. Seule annonce : la possibilité d’aller voir ses parents dans les EHPAD dont l’hécatombe de victimes ne tient pas qu’à l’âge moyen des pensionnaires mais à l’encadrement notoirement sous-évalué, sur-exploité, sous-payé…au détriment de la sécurité des personnes et de leur confort. Du respect qu’on leur doit.
On sait aussi qu'”il n’y aura pas de grands rassemblements d’ici la fin de l’été” a déclaré E. Macron aux autorités religieuses et maçonniques ce 21/4… Donc pas de 1er mai, pas de rassemblements sportifs, religieux, politiques, syndicaux, associatifs, festivals…pas de réouverture en vue des restaurants, bars, cinémas, salles de spectacles…Pourra-t-on accéder à l’ensemble du territoire puisqu’il est recommandé de ne pas le quitter pour les prochaines vacances ?
D’ailleurs la confiance populaire s’est fortement érodée. Quant à la réouverture des écoles, même en trois semaines, par niveau de classe et à 15 par classe pour respecter les distances elle est très loin de susciter l’adhésion alors qu’aucune consultation et avis ne semblent ébranler la volonté de l’exécutif qui prétend aller plus vite pour remettre la France au travail selon la vision qu’il en a.
Comme s’il s’agissait de pousser un véhicule et de le laisser prendre sa vitesse de croisière en mettant le pied sur la pédale de frein en cas d’alerte sanitaire. Ils parlent de protocole de santé. Le 11 mai, c’est dans 15 jours. Il serait temps de voir avec les chefs d’établissement et le personnel, ils connaissent bien leurs écoles. Les élus locaux qui les ont en charge ont-ils été associés ? Et les parents d’élèves, censés reprendre leur boulot ? Ce n’est pas une mince affaire.
D’un côté ils disent “nous avons besoin de temps“, de l’autre ils ne prennent pas le temps de consulter ni la représentation nationale, si ce n’est à la sauvette, ni les syndicats, les élus les associations…qui leur en font perdre ! L’état d’exception doit cesser et ne saurait perdurer au-delà de la période de confinement.
En fait, les entreprises ont été entendues alors que le même droit au retour au travail ne peut être accordé à chacun, loin s’en faut. Encore faudra-t-il veiller aux condidions sanitaires qui seront appliquées et aux indemnités qui seront dûes à celles et ceux qui y auront droit, ils sont plus de 10 millions !
Les conséquences économiques n’en seront que plus considérables, elles pèseront lourdement sur “l’après-virus” dont on n’est pas sorti, à moins qu’il soit saisonnier et qu’il s’évapore comme il est venu ?! Qui ne le souhaiterait ?
Il n’empêche qu’il n’est pas trop tôt pour réfléchir, à la fois à la manière de sortir de cette pandémie et de la crise systèmique sur laquelle elle s’est greffée, qui concerne le monde entier confronté à une crise latente bien antérieure à la pandémie.
Crise sociale et écologique sur l’état de la planète, le creusement des inégalités, des milliards d’êtres humains en survie, les conflits incessants, l’insécurité, la paix menacée, l’accès de tous aux biens communs non garantis, les droits et libertés bafoués, l’accés très inégalitaire aux savoirs, à la formation, à la culture…En même temps que l’aspiration à la solidarité, à la fraternité, à la paix fortement ancrée dans la jeunesse s’exprime sur tous les continents.
Nous vivons un bouleversement sans doute historique par sa double dimension sanitaire et économique, sa durée, son ampleur…Il laissera des traces indélébiles qui interrogent déjà la manière dont nos sociétés s’affrontent au lieu de s’entendre. A l’heure de l’intelligence artificielle et des usages qui en sont faits pour le fichage des citoyens à des fins de conditionnement et d’exploitation de nos données strictement personnelles, nos sociétés sont tenues en échec par un virus qui révèle leur fragilité, leurs carences, les paralyse durablement.
Il est temps que les peuples mettent leurs forces en commun pour gérer leur maison commune, la planète : le sol, le sous-sol, les océans, l’espace…pour percer leurs mystères infinis et les transmettre intacts aux générations futures. Pour se partager leurs ressources sagement renouvelées au service des hommes pour répondre à leurs besoins vitaux et immatériels et donner du sens à leur vie.
“Recoller les morceaux” pour repartir sur les mêmes bases ou faire du neuf ?
Reconstruire un monde à l’identique fondé sur la puissance militaire et économique d‘un Etat ou d’un groupe d’états, ne peut que reproduire les mêmes aberrations. C’est entretenir conflits et guerres en permanence pour la propriété privée de biens stratégiques, la jouissance et l’enrichissement personnel d’une infime minorité au pouvoir sans aucun scrupule. Sans même de légitimité, tant les peuples ne s’y reconnaîssent pas et désertent les urnes, faute de démocratie et de prise en compte de leur situation concrète et du mépris que les gouvernements leur portent.
Violences et corruptions accompagnent ce détournement permanent de richesses. Sans compter les sommes monumentales consacrées à la production et à l’entretien d’armes (La France est le 3è marchand) et d’armées qui ne servent pas au développement humain, à la recherche et à l’aide humanitaire, dans un premier temps, pour que chaque humain ait accès à l’eau potable, à une alimentation suffisante, à un toît, à la santé, au respect de son mode de vie, grâce à la solidarité de tous, redevenue naturelle. L’effacement des inégalités devient un objectif crédible.
On a l’audace ou on se résigne ? On ouvre un horizon ou on le ferme ? On tend la main ou on la refuse ? On agit ou on subit ?
Les circonstances nous donnent cette opportunité de contribuer à remettre le monde à l’endroit. Et la France à sa vocation de résistance, de progrès social et de pionnière des droits de l’homme.
Saurons-nous la saisir ?
René Fredon