Edouard Philippe, à peine mangé son châpeau, a essuyé spontanément une fin de non recevoir des “gilets jaunes” à ses propositions de geler pour six mois seulement les taxes sur l’énergie (essence, diesel, fuel, gaz, électricité et l’augmentation actée du contrôle technique) sans y renoncer : la belle affaire.

Malgré le matraquage médiatique sur les débordements et la violence qui ont marqué ce dernier samedi, nul n’a été dupe. A qui portent-ils préjudice ? Et que fait-on de la violence sociale infligée chaque jour, à celles et ceux qui vivent dans l’angoisse du lendemain ou qui, simplement, se font racketter alors que les très riches se voient octroyer des privilèges coûtant très cher à l’Etat et à l’économie ?

D’où le soutien populaire qu’il suscite, à 73% , au point que le gouvernement a dû revoir son discours intransigeant pour tenter de calmer le jeu. Au moment où le mouvement social qui n’avait pas cessé, notamment les organisations syndicales les plus combatives, rappelle ses revendications qui recoupent en bien des points celles des gilets jaunes.

Ce recul du pouvoir, pour limité qu’il soit dans le temps et dans le contenu, marque une étape décisive qui témoigne de la fragilité et de l’impopularité à la fois de Macron par son arrogance et de sa politique perçue comme répondant aux voeux du grand patronat et des très riches tandis qu’il sollicite, par sa fiscalité, les revenus les plus modestes au lieu de traquer la fraude et l’évasion fiscale, les inégalités de revenus et de redonner du pouvoir d’achat aux millions de foyers au-dessous du SMIC en augmentant salaires, pensions et prestations, d’autant plus que les revenus sont bas.

Or, E. Philippe n’a parlé ni du rétablissement de l’ISF, ni de la revalorisation du SMIC et des minima sociaux, ni des salaires et pensions et dans six mois rien n’indique qu’ils changeront de cap. Une concession tactique qui ne saurait faire tomber la colère sociale au moment où elle prend de l’ampleur.

D’ores et déjà le 1er ministre à qui Macron avait passé la patate chaude, aura le plus grand mal à rester droit dans ses bottes, comme son mentor, Juppé en 1995 alors en échec sur la question des retraites et de la sécurité sociale face à un très fort mouvement social. On est en plein dedans et le projet Macron est très lourd de nouveaux reculs sociaux.

Un coup d’arrêt vient d’être porté à toutes les “réformes” à venir et ce premier échec du pouvoir confirme, si besoin était, que la façade vient de se fissurer parce que le peuple se reconnaît derrière l’aspiration à plus d’égalité et de justice en faveur des plus mosdestes.

Le handicap certain d’un mouvement qui n’a pas de porte-parole, ni de représentants élus -ce que nombre de commentateurs ne manquent pas de souligner- ne l’a pas empêché de porter haut des revendications très politiques, au bon sens du terme et largement soutenues par le peuple.

Le pays est entré dans une phase que d’aucuns vont s’employer à dramatiser car leur image en a pris un sérieux coup au foie, après seulement 18 mois d’exercice et une impopularité record. Jupiter est revenu sur terre et a fini par mieux mesurer la profondeur des colères de “son” peuple qui, lui, ne le prend pas pour cet extra-terrestre qui avait réussi le hold-up du siècle en prenant le pouvoir, non pas grâce à son programme mais par défaut, pour faire obstacle au FN, pourtant lui-aussi, très attaché au système capitaliste, à la manière de Trump et de Bolsonaro.

Ce qui se joue c’est la mise en échec d’un pouvoir au service des très riches et la construction d’une perspective qui garantisse un avenir à toutes les catégories sociales en prenant le pas sur la finance, la France est un pays riche, la 6è puissance du monde, et dispose encore du meilleur système de protection sociale et de services publics que les “libéraux” s’emploient à privatiser, c’est-à-dire à s’approprier.

Il se trouve des “experts” sur les plateaux télé pour considérer que “c’est le modèle français de 1945 qui est à bout de souffle…” C’est le point de vue du CNPF : en finir avec notre modèle social, ce que cherche à faire Macron après d’autres.

Ce mouvement, additionné de tous les mécontentements jusqu’alors méprisés, peut être irrésistible s’il devient puissant, coordonné et déterminé à pousser l’action jusqu’à des négociations de nature à sortir de la crise. En évitant les provocations et les violences…gratuites de quelques-uns qui coûtent très cher aux contribuables et au mouvement lui-même.

A ce propos, le ministre de l’intérieur a reconnu devant les parlementaires que “le dispositif de maintien de l’ordre n’avait pas été très efficace”. La protection des biens publics et privés doit primer sur la chasse à l’homme et le gazage préalable. Il y a suffisamment de faux manifestants à surveiller.

Comme il y a des discours qu’on ne peut plus entendre : ” faire mieux avec moins” …”votre pouvoir d’achat augmente…” et autres “on va creuser la dette et le déficit imposés par l’Europe”…”la transition écologique ne peut pas attendre”…C’est sûr mais qui sont les gros pollueurs ? Le droit à polluer est-il légitime ? Et celui de déclencher la plus grande crise financière au moyen de fraudes gigantesques dont nous ne sommes pas sortis ? Tout en sauvant les banques et sans poursuivre aucun de leurs dirigeants ?30 millions de personnes y ont perdu leur emploi dans le monde et des milliers de milliards de dollars ont changé de main. Et ça continue.

Mardi soir un documentaire particulièrement édifiant sur “la 5” couronnait cette journée, peut-être historique, où le pouvoir a cédé pour la première fois devant la détermination d’un mouvement puissant porteur des colères populaires face au rouleau compresseur libéral qui se croyait tout permis.

Ce documentaire inédit s’intitule : “Ils ont plongé le monde dans la crise” de François Bringer. A voir sans modération.

René Fredon

 

 

 

 

 

 

 

Moratoire : le compte n’y est pas !

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