La tragédie de l’effondrement du pont Morandi à Gênes, ses conséquences humaines…nous ont profondément touchées. Une semaine après l’évènement et sans entrer dans la polémique politique qui secoue le peuple italien et particulièrement la population gênoise, rappelons tout de même  que la Ligue de Salvini -qui “veut faire tomber des têtes” en désignant les gestionnaires- était alliée au gouvernement de Berlusconi lorsque fut décidée en 2002 la concession à la société Altlantia de Benetton  !

Et que, le Mouvement 5 étoiles (M5S) fondé par Bepe Grillo, l’autre démagogue qui partage le pouvoir avec l’extrême droite, contestaAit en 2013 “la fable de l’effondrement imminent du pont Morandi” rejetant le projet de bretelle qui était dans l’air pour remplacer le viaduc reconnu incertain. Il vociférait contre tous ces grands travaux inutiles…même les ponts reconnus défectueux !

Il va bien leur falloir aussi rendre des comptes, comme leurs prédécesseurs et comme le gestionnaire, plutôt que de jouer les procureurs sentencieux au double discours, dans l’opposition et au gouvernement : un grand classique.

Rien ne doit être omis pour déterminer les causes et les responsables d’une telle catastrophe qu’on ne peut mettre au compte de la fatalité. Il y a eu d’autres beaucoup alertes sur l’état des infrastructures italiennes et le Conseil national des recherches italien en avait fait état, notant 11 effondrements de ponts dans les 5 dernières années, compte tenu de leur obsolescence, de leurs défauts initiaux, du trafic et du sous-investissement pour leur entretien. Le concessionnaire privé (qui sévit aussi en France) a notoirement privilégié les dividendes qui dégageaient 25% de profits (1 milliard) comparés au chiffre d’affaires en 2017 (4 milliards).

C’est ce que l’enquête en cours devra déterminer.

Comment ne pas s’interroger sur l’état de notre propre réseau routier inséparable des ouvrages d’art (viaducs, ponts, tunnels…) qu’il a fallu construire et entretenir pour assurer la circulation et la sécurité des usagers de la route.

C’était l’objet de l’audit commandité par la direction des infrastructures de transport remis début juillet 2018 au ministère après une étude d’octobre 17 à février 18 réalisée par deux bureaux d’études suisses : NiBuxs et IMDM. (1) Il ne concerne que le réseau (non concédé) géré par l’Etat, soit 12 000 km d’autoroutes et de routes nationales sous la responsabilité directe de l’Etat. 9 000 km d’autoroutes étant concédés au privé à travers 19 contrats.

Le JDD en avait fait état le 22 juillet dernier sous le titre : “Un rapport accablant dénonce l’état des routes en France” (2). En mars 2017, le Sénat avait publié un rapport d’information de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable qu’il avait intitulé : “Les infrastructures routières et autoroutières, un réseau en danger”

Il y est noté que si la proportion des autoroutes en très bon état de surface (65%) était stable, celle des autoroutes en (seulement) bon état de surface a diminué, passant de 31 à 18% entre 2011 et 2013… Ce qui confirme une dégradation très sensible qui s’est poursuivie. En même temps le gouvernement précédent (avec Macron) avait décidé d’allonger la durée des concessions en 2015. Ce qu’avait épinglé la Cour des comptes jugeant “indulgente la puissance publique envers des concessionnaires tout puissants..ne respectant pas leurs obligations de base en matière d’entretien du réseau.”

 Le rapporteur, le sénateur Hervé Maurey, considérait qu’il fallait rompre avec le sous-investissement : “plus on tarde plus il faudra investir...” sans compter la prise de risques s’agissant d’ouvrages vieillissants, dégradés et délaissés…exposés pour 17% à des risques très sérieux !

Le sujet est récurrent, le même constat concerne également le réseau urbain et les voies communales et départementales en milieu rural. Il suffit de se pencher sur l’état de la voirie à Toulon pour se faire une idée de l’ampleur de la dégradation du réseau routier, reflet, en partie de la baisse des budgets et des dotations consacrées à ce secteur et du coût de la remise en état, de l’entretie des voies, des trottoirs et des pistes cyclables, le tout agrémenté de raccords, de fissures et de nids de poule dangereux. Coût d’autant plus important que l’entretien a été négligé voire carrément oublié.

L’audit suisse -dont la lecture très technique pour ne pas dire parfois absconse, n’est pas une partie de plaisir-, il n’en montre pas moins quelques changements d’échelle financière si l’on veut sauvegarder le parc routier “vieillisant et dégradé“, le rendre fiable à l’horizon 2037, de l’ordre de 1,3 milliard par an si l’on veut éviter quelques gros pépins. Il est d’autant plus inquiétant concernant les ponts dont “un tiers des 12 000 ponts nécessite des réparations. Dans 7% des 30% à réparer, soit 252 ouvrages, les dommages sont sérieux et présentent -à terme- un risque d’effondrement.” Le budget 2018 ne prévoit que 800 millions.

La ministre Elisabeth Borne a sauté sur l’occasion pour tenter de rassurer une opinion inquiète, à la veille de présenter un rapport sur “les mobilités”, la manière dont les Français se déplacent, utilisant la route à plus de 80% et pas assez les transports en commun. Autre problème de premier plan, à la fois économique et écologique, qui ne paraît pas émouvoir la “majorité”…du moins parlementaire. Hulot compris.

Elle promet un projet de loi de programmation des infrastructures à la rentrée reconnaissant  que “50% des chaussées sont à renouveler alors qu’un pont sur dix est en très mauvais état”. On ne le lui fait pas dire. Un plan qui porterait à 1 milliard par an l’entretien et la modernisation des routes. De la dépense publique en perspective…

A moins que l’on offrre à Mr Benetton, ce “géant” mondial du vêtement devenu géant des concessions d’autoroutes, des télécoms, de l’immobilier, de la restauration, de la finance…l’opportunité d’étendre ses activités françaises.

Il gère déjà en France, depuis sa mise en concession en 2016, l’aéroport de Nice jusqu’en 2044, de Cannes-Mandelieu, de Saint-Tropez. Il vient de faire main basse sur les autoroutes du Nord et de l’Est à la faveur de son rachat de l’Espagnol Abertis, son groupe est le 1er actionnaire du tunnel sous la Manche et il lorgne sur la concession des trois aéroports de Paris que ce gouvernement veut privatiser.(3)

Atlantia voudrait prendre la tête d’un consortium pour participer à l’appel d’offres. Seulement le drame de Gênes et sa charge émotionnelle pèsent sur son gestionnaire manifestement défaillant…mais pas dans tous les domaines. Attendons la suite.

Benetton est un “premier de cordée” en très mauvaise posture en ce moment, du moins en Italie et en France. Il illustre une société qui place la finance et les profits de quelques-uns au-dessus de tout. Quitte à négliger d’investir pour la sécurité des humains, en l’occurrence.

On voit jusqu’où ça peut aller.

René Fredon

 

(1) https://fr.scribd.com/document/386502943/Rapport-sur-l-etat-des-routes#from_embed

 

(2) https://www.lejdd.fr/societe/un-rapport-accablant-denonce-letat-des-routes-de-france-3716093

 

(3) http://www.businessinsider.fr/qui-est-atlantia-concessionnaire-via

L’état du réseau routier en France sous les projecteurs :

Laisser un commentaire