Le second tour de la présidentielle a lieu dimanche 28 octobre entre le candidat d’extrême-droite Bolsonaro largement en tête et Haddad devenu celui de tous les démocrates. Un enjeu considérable.

Avant le premier tour le favori en était l’ancien président Lula, emprisonné au motif de corruption ce qu’il a toujours contesté (1), il n’a pu se présenter. Dilma Rousseff qui lui avait succédé, a été également écartée sous prétexte d’irrégularités dans ses comptes de campagne. Son ex-vice-président, le putschiste Michel Temer, arrive au pouvoir en août 2016 et entreprend un renversement politique à droite qui s’est avéré catastrophique pour les Brésiliens des classes populaires et moyennes.

Dès septembre 2016 des manifestations monstres demandent son départ et des élections présidentielles anticipées. En avril 2017, les syndicats lancent une grève générale très suivie contre l’allongement des cotisations retraites et les atteintes au droit du travail. Sur fond de crise économique et sociale profonde et de conflits d’intérêts qui touchent de nombreux ministres et plusieurs dizaines de parlementaires de la nouvelle majorité.

Le mouvement des sans-terre dénonce la déforestation de la forêt amazonienne et le non-respect des engagements pris. Le ministre de l’agriculture étant le plus gros producteur mondial de soja, par exemple ! Une répression sanglante des paysans s’ensuit. Parmi une vague de scandales qui décime le nouveau gouvernement et accentue le malaise social.

Comment le peuple brésilien, victime d’un tel comportement généralisé à la tête de son Etat, n’aurait-il pas le sentiment de l’indignité et de l’incapacité des élites qui ont mis le pays dans un tel chaos ? Le PT étant sorti très affaibli de cette séquence, d’autant qu’il n’avait pas tenu toutes ses promesses mais son leader charismatique était donné fin août à 40% d’intentions de vote.

Sa popularité était quasi intacte, il fallait l’écarter de l’élection. Ce fut fait. La voie était ouverte pour le fasciste Bolsonaro qui pouvait surenchérir et s’appuyer sur le discrédit du système pour se présenter  “mains propres et tête haute” face au spectacle que le peuple a devant les yeux et dont il fait le premier les frais.

Amplifiées par les médias aux mains de l’oligarchie financière, il entend des paroles fortes stigmatisant tous les “politiques” comme si Bolsonaro n’en faisait pas partie.

Le messie est arrivé, soutenu publiquement par les églises évangélistes, pentecôtistes…les oligarchies, les milieux d’affaires ont leur candidat. Il va remettre de l’ordre dans l’une des plus grandes puissances du monde…fusil mitrailleur au poing dont il veut doter chacun pour qu’il assure sa sécurité ?

Déjà, il a l’oeil tourné vers Trump et les marchands d’armes dont le chiffre d’affaires doit être garanti dans ce monde de fous. Ce sera bon pour l’économie ! Wall Street ne s’y est pas trompé : la bourse de New-York a réagi très favorablement, progressant de 6 points au lendemain du 1er tour. Le Wall-Street Journal l’avait officiellement soutenu !

Au cours d’une campagne particulièrement violente où les fausses nouvelles sur internet visent le candidat du PT, Bolsonaro dans les meetings mime le geste de tuer ses adversaires à l’arme automatique, les journalistes et les militants de gauche !

Bien que député et dans la politique depuis près trente ans, donc à l’abri du besoin -deux de ses fils viennent d’être élus députés-, il avait plutôt une image d’homme discret, très à droite certes qui lui permet de passer pour un homme “neuf” quoique ses professions de foi n’ont rien de rassurant ni de très original. Ultralibéral, il ne fera pas trembler le capital. L’attentat dont il a été victime a accentué sa popularité.

Du dégagisme…tropical

Donnant à Bolsonaro 46% au premier tour, tout un électorat s’est précipité vers l’abîme, du moment qu’on ne verrait plus les mêmes têtes qui ont mis le pays dans cet état.

Autrement dit, il incarne l’aggravation certaine des politiques de super-austérité générant l’insécurité, les inégalités encore plus fortes et les haines les plus violentes…grâce à un pouvoir ultra-sécuritaire et nationaliste avec à sa tête un chef raciste, misogyne, homophobe, fanatique religieux, aimant les armes et la manière forte, justifiant l’inégalité entre les sexes, les races, les classes sociales…Bonjour les libertés et les droits de l’homme !

C’est dire le désarroi qui règne dans ce pays où la violence a atteint des sommets. Il a séduit  les couches populaires très métissées dont une partie paraît ignorer la charge de racisme portée par le personnage, véritable sosie politique de Trump. Au point que de grandes vedettes du foot-ball (dont on connaît la place que tient ce sport au Brésil), comme Ronaldhino, ballon d’or 2005, Rivaldo, Cafu, Lucas Moura…se sont entichées du nostalgique de la dictature militaire.

Qu’on en juge… par ses quelques déclarations explosives : Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous”…

 “l’Etat laïc n’existe pas, non. L’Etat est chrétien et que celui qui n’est pas d’accord s’en aille. Les minorités doivent se plier aux majorités.”…

 “Je serais incapable d’aimer un fils homosexuel. Je ne serai pas hypocrite : je préférerais que mon fils meure dans un accident plutôt que de le voir apparaître avec un moustachu.”…”Si je croise deux hommes qui s’embrassent dans la rue, je frapperai.”

 Il est favorable à la libéralisation du port d’armes et à l’abaissement de la légalité pénale à 16 ans. En 2008, il déclarait : “l’erreur de la dictature a été de torturer et non pas de tuer”. Ou, plus récemment : “Les armes ne génèrent pas la guerre…” L’ancien capitaine se glorifie de son vote lors de la destitution de Dilma Rousseff, vote qu’il dédiait aux militaires et à l’un des colonels, ancien chef de la sécurité intérieure de la dictature de 1962 à 1985 (2). Pour lui, c’était “une révolution démocratique“!! Comme Pinochet, Franco, Salazar…

C’est dire à quel point le peuple brésilien s’est fracturé, dépolitisé, a perdu la mémoire, sauf dans le Nordeste où la gauche reste majoritaire. La démocratie peut-elle encore être sauvée? Le candidat du PT, Haddad, remplaçant au pied levé Lula, a tout de même approché les 30% au 1er tour. Les réserves de voix du camp de celles et ceux qui ne veulent pas basculer dans le pire mais l’éviter sont limitées.

Tout espoir n’est cependant pas perdu. Ciro Gomes, du centre gauche, arrivé en troisième position avec 12,47% s’est déclaré résolument hostile à Bolsonaro qu’il faut écarter du pouvoir, cela fait une opposition à 42% sans compter les 10 autres candidats en-dessous des 5% recueillant au total 12% des suffrages exprimés. (Le vote est obligatoire de 18 à 70 ans et facultatif de 16 à 18 et au-dessus de 70 ans)

D’autres noms illustres du foot brésilien comme Socrates, Juninho, Zé Maria, Casagrande, Wladimir…s’étaient illustrés dans les années 80 en prenant position contre la dictature militaire : “Nous avons été élevés au sein du peuple, comment l’oublier ?” Tous très engagés dans la défense de la démocratie qui avait cessé d’irriguer le Brésil pendant vingt ans…il y a deux générations.

Le 23 octobre, plusieurs évêques brésiliens -dont le secrétaire général de la conférence nationale des évêques du Brésil- ont lancé “un appel au discernement…” et cosigné avec 6 autres institutions -dont la fédération nationale des journalistes et l’ordre des avocats- un texte qui affirme “leur rejet absolu de toute manifestation de haine, de violence, d’intolérance, de préjugés et de mépris des droits de l’homme…” sans citer qui que ce soit, encore moins donner de consigne de vote explicite. Mais la cible ne peut laisser le moindre doute.

Pour le politologue brésilien, Francisco Fonseca, “cette élection place dans deux camps opposés : la barbarie et la civilisation… Enjeu historique, il n’y a pas de doute, en même temps que planétaire, le Brésil étant l’une des plus grandes puissances, la 5è pour sa population. Son basculement à l’extrême-droite constituerait le plus mauvais signal et la confirmation des périls les plus extrêmes qui menacent les démocraties partout dans le monde.

Fernando Haddad représentera ce dimanche 28 octobre 2018, l’ensemble de l’électorat qui a refusé de voir en Bolsonaro l’homme providentiel du changement espéré alors qu’il n’en serait que le fossoyeur. Il a lancé un appel “à se saisir du second tour et à s’unir pour la défense des plus pauvres, pour la souveraineté nationale et populaire qui passe avant tous autres intérêts…je continuerai à me battre pour la défense de la démocratie contre le fascisme.”

Puisse-t-il être entendu ?

René Fredon

(1) http://www.lefigaro.fr/international/2018/01/24/01003-20180124ARTFIG00012-petrobras-un-scandale-tentaculaire.php

 

(2) https://www.franceculture.fr/politique/jair-bolsonaro-le-trump-tropical-sabat-sur-la-democratie-bresilienne

 

 

 

Le Brésil face à son destin !

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