La résistible ascension du RN:

On ne le sait que trop : 80 ans après la victoire sur le nazisme, l’influence de l’extrême-droite est en progression en France, en Europe et dans le monde occidental. Cela se traduit par son
accession récente au pouvoir en Italie, plus ancienne en Hongrie et en Pologne.
Elle participe à plusieurs gouvernements aux côtés de partis de droite, c’est le cas de la
Lettonie et de la Finlande tout récemment. Le PF (parti des finlandés) extrême-droite
nationaliste et populiste a obtenu 46 sièges sur 200 aux législatives d’avril dernier. Il gérera
les finances, l’intérieur et la justice dans une coalition de droite majoritaire.
Le PF tient d’une main ferme celle du 1er ministre de centre-droit “fier du bon programme
de la coalition pour la remise en ordre du pays”. Ils ont en commun pour priorité le rejet de
toute immigration, le durcissement des permis de séjour et, pour les non-résidents, une
citoyenneté et une “protection” sociale à part. Une vision identitaire prononcée…comme le
RN, d’ailleurs ils siègent dans le même groupe au parlement européen
L’extrême-droite (FPÖ, parti de la liberté ?) est en position de force en Autriche où elle a été
associée au pouvoir ces 25 dernières années. Une élection régionale vient de lui donner 24%
des suffrages après qu’un scandale lui ait coûté quelques années de purgatoire.
En Suède, longtemps sociale-démocrate, le parti des “démocrates de Suède” (anciennement
“parti du reich du Nord”) a obtenu 20,6% des suffrages exprimés qui ont pesé lourd dans la
victoire historique de la coalition de droite.

France : relever le défi:
Incontestablement, en France, le RN a réussi sa banalisation, sa mue de parti extrêmiste
radicalement à droite. Il n’assume plus les origines de ses diverses composantes antirépublicaines,
royalistes, colonialistes, antisémites, nationalistes, collaborationistes de Vichy
(après avoir tenté de s’emparer de l’Assemblée nationale le 6 février 1934) et anticommunistes
viscéraux.
Dans leur nébuleuse d’alors, nourrie par la montée du fascisme italien et du nazisme
allemand, l’antisémitisme était érigé en priorité absolue. On pouvait lire ceci en 1937, dans
l’une de leurs nombreuses gazettes, “La parole populaire” : “l’ennemi n°1 n’est pas le
communiste français, c’est le JUIF. Sus au juif d’abord ! Après nous verrons”
On connaît la suite. Quarante ans après, dès l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981,
l’avocat J-M Le Pen avait réussi à rassembler dans un seul parti, le FN, toute une série de
groupuscules qui s’étaient distingués en février 1934 et, pour partie non négligeable,
s’étaient mis au service de l’occupant.

A peine signée la victoire sur le nazisme, huit ans de guerre française en Indochine (46-54),
prolongée par les E-U (55-75) : vingt ans de plus, deux caastrophes ! Entre les deux, la
guerre d’Algérie (54-62) présentée à ses débuts comme “maintien de l’ordre” a divisé une
partie de la population dite “pied noir” et de la hiérarchie militaire. Ils refusaient que
l’Algérie soit gouvernée par les Algériens. Les partisans de l’Algérie française et leurs
“activistes”-dont quatre généraux- ont sonné la révolte armée et provoqué une crise politique
qui s’est traduite par l’appel au Gl De Gaulle, héros de la 2è guerre mondiale.
Il a fini par signer les accords d’Evian débouchant sur la création d’un Etat algérien
souverain et la fin d’un département français. L’extrême-droite, à travers l’OAS, était dans
une opposition frontale avec le nouveau président de la 5è République auquel elle reprochait
sa trahison. Elle fomenta un attentat contre le Général De Gaulle, au Petit-Clamart.
Aujourd’hui ils disent respecter De Gaulle…en toute hypocrisie.

Longtemps le FN incarna une opposition d’extrême-droite coupée de la classe politique, ne
paraissant pas vouloir accéder au pouvoir, faute de partenaires. Il était contre tout et ne
cédait sur rien : contre l’Europe, contre l’euro, contre le nouvel ordre mondial, pour une
France souverainiste, contre tous les traités, pour arrêter toute immigration, préférence
nationale -qu’ils veulent toujours constitutionnaliser- dans tous les domaines, protection
sociale identique…pour les Français. Il est pour la fraternité mais entre français ! Les
étrangers dehors, sécurité, carte d’identité et nationalisme d’abord. Comme si c’était des
valeurs républicaines ?

A la présidentielle d’avril 2002, J-M Le Pen talonna néanmoins Chirac(19,88%) avec
16,86% et 4,8 millions de voix au 1er tour, se qualifiant pour le second où il fut largement
distancé.
Aujourd’hui sa fille qu’il avait désignée pour lui succéder, en chef tout puissant du FN -qu’il
avait crée le 5 octobre 1972- s’est attachée à repeindre la façade du parti de papa, avant d’en
changer symboliquement le nom, en 2018 pour affirmer son objectif d’exercer le pouvoir.
Même fond mais forme plus souple, plus nuancée, avec quelques abandons histoire de
dédiaboliser un parti qui se déploie au détriment des LR essorés dans l’hexagone.

Le RN ne sort plus de l’Europe et de l’euro, il se contente de revoir les traités. De même il ne
veut plus sortir de la convention européennes des droits de l’Homme, MLP a assoupli sa
position favorable à la retraite à 60 ans… seulement pour celles et ceux qui ont travaillé
avant 20 ans. A la présidentielle de 2022 elle renonce à interdire la double nationalité pour
les étrangers extra-européens qui datait du père, froissé et qui l’a fait savoir. Elle a mis de
côté le rétablissement de la peine de mort auquel tenait le patriarche.
Elle rallia une partie des classes populaires et de l’électorat de droite, de plus en plus déçus
des politiques libérales anti-sociales qu’avaient pratiqué la droite et la gauche verte et socialdémocrate sous Hollande, aggravant le mécontentement et les colères dans les villes et les
campagnes.

RN : une alternance très libérale
Le RN profite incontestablement de la déception des électeurs en se présentant comme une
“alternative” aux partis traditionnels ? Il n’est jamais qu’une alternance très libérale, n’est-il
pas admirateur de Trump, Bolsonaro et Poutine ? L’abstention monte en puissance, près d’un
électeur sur deux. Les crises sociales, écologiques, politiques se développent depuis 2008,
les droites et les gauches au pouvoir discréditées et mises à égalité pour avoir laissé les
inégalités se développer et les profits de quelques-uns s’envoler très haut. La parole
politique a perdu beaucoup de crédit au fur et mesure que l’austérité se déployait.
Le RN accueille toujours de nombreux cadres et élus nationaux en provenance des LR et du
FN à l’ancienne. Certains ralliant Reconquête le parti de Zemmour qui cultive la radicalité
perdue du FN, la nièce du fondateur l’ayant rejoint.
Le RN se présente comme le seul parti “d’opposition” qui prétend sauver la France du
cosmopolitisme mais pas du capitalisme, ils n’en parlent jamais. Ils promettent de mettre de
l’ordre et de la justice sociale, droite et gauche ayant échoué. Comme s’ils étaient de doux
oiselets à peine sortis du nid, pleins de pureté et d’intentions louables ?
Ils sont très aguerris et s’efforcent de faire oublier leur passé et leur vision du futur. Mais on
devine. On les a vus à l’oeuvre dans cette ville de 1995 à 2002. Six ans de scandales.
On vient de le voir pour les retraites, le RN n’hésitait pas à voter comme la gauche tout en
ne participant à aucune action pour cela. Il lui suffisait de ne rien dire ou presque pour
paraître dans l’opposition à Macron ?? Ce dernier durcissant la répression des manifestants
et des migrants, se voulant aussi sécuritaire sinon plus. Donnant de ce fait un bon point au
RN qui vient de voter, comme Macron, les 413 mds de dépenses militaires, sur sept ans !!!
Le résultat de la présidentielle et des législatives, au printemps 2022, a montré l’ascendance
de son influence électorale. Le Var en sait quelque chose avec “ses” sept députés sur huit,
bien discrets.
Mme Le Pen a obtenu 8,13 millions de suffrages soit 23,15%, à 4,7% de Macron. Zemmour
a fait 7,07%. Soit à eux deux 10,6 millions de voix. Au 2è tour, elle a réuni 13,28 millions
de voix, soit +2,6 millions, plus que le total du 1er tour avec Zemmour. De quoi prendre au
sérieux le poids électoral du RN à son niveau le plus élevé. Principalement aux dépens des
Républicains qui ont vu leur électorat fuir à l’extrême-droite et sur Macron, dans la foulée de
Falco, Estrosi, Muselier…
Il n’en faut pas plus pour que le député RN de La Seyne-Six-Fours, Frédéric Boccaletti, militant frontiste de longue date, porte plainte pour avoir été qualifié de “fasciste” et sifflé
au moment du dépôt de gerbes lors de la journée nationale de la Résistance où il venait pour
la première fois ! Lui, un fasciste ? Mais pas du tout, voyons. Auriez-vous oublié la librairie
négationniste “Anthinéa”qu’il tenait à Toulon, près de la place d’Armes, quand il était encore
avec Megret MNR, dissident du FN ? Autre anecdote : lors d’un collage d’affiches il avait
sorti le flingue et tiré sur des jeunes avec lesquels il se disputait. Il a fait six mois fermes à la
prison St.Roch.

A Draguignan le député RN Philippe Schreck s’affiche avec l’évêque à une prière
publique…pour faire tomber la pluie ! Que n’a-t-il à faire de la laïcité ?
A Toulon à la Journée nationale de la Résistance, la députée et le conseiller régional RN,
conseillers municipaux ont, pour la première fois, participé et déposé une gerbe à la
cérémonie au monument aux morts. Il était temps depuis que le Conseil national de la
Résistance a droit à un hommage de la nation. Il est vrai, tout le monde n’était pas du même
côté et il reste de moins en moins de témoins.
Pour un avenir de progrès et de paix

On ne fera pas reculer le RN en niant sa progression, ni en oubliant son idéologie fondatrice.
Il faut aussi parler du contexte économique et politique dans lequel baigne la France et le
monde tout en prenant acte du mouvement d’une partie importante de l’électorat de droite
vers l’extrême-droite qui a aussi mordu dans les couches populaires. S’y ajoute une
abstention qui en dit long sur le niveau de déception des citoyens.es qui tombent dans le
rejet global et la fatalité.

Les quatre mois de mobilisations populaires contre la réforme des retraites de Macron et le
niveau du soutien de la population à la lutte unie autour de tous les syndicats constituent une
condamnation majoritaire du pouvoir actuel qui a privé le parlement d’un vote que craignait
Macron de plus en plus isolé, qui multiplie les déclarations pour donner le change

Cette lutte historique en France n’est pas terminée, ni sur les retraites, ni sur les salaires et
l’emploi, en régression accélérée suite à l’inflation subie, la valeur ajoutée est en panne, les
défis climatiques sont toujours devant nous. Les pénuries et la hausse des prix paraissent
inévitables comme si les causes n’avaient rien à voir avec les choix des Etats s’alignant sur
les maîtres de la finance qui tirent un grand parti de la situation “d’économie de guerre”
proclamée incontournable ?

Individuellement nous ne pouvons rien changer. Collectivement c’est autre chose. Encore
faut-il qu’on limite, par les luttes, la casse sociale et écologique et qu’on ait une vision des
transformations à engager, en rupture avec l’ordre existant, celui du capitalisme et de la
finance privée qui régissent le monde en imposant leur domination et leurs critères égoïstes
jamais satisfaits.

“On” ce n’est pas seulement la gauche telle qu’elle existe aujourd’hui mais une majorité plus
large englobant les couches populaires et les classes moyennes des villes et des campagnes,
essorées par un capitalisme financier en crises et qui coûte cher aux plus modestes. Tous
aspirent à vivre dignement de leur travail et à conquérir les droits et les moyens de financer
les choix utiles déterminés à égalité par les salariés dans les entreprises, les citoyens et élus
à tous les niveaux. Le but : donner à la France les moyens des changements qui s’imposent
et dans l’urgence. C’est possible parce que de l’argent, il y en a et même beaucoup.
C’est l’esprit du projet communiste qui n’est pas un programme à prendre ou à laisser mais
une vision du futur qui ne demande qu’à être connue et débattue et qui colle au mouvement
social. Sa seule ambition : la réussite des transformations progressistes à conquérir par les
luttes et sur tous les plans.
René Fredon

La résistible ascension du RN..