Interview d’Hervé Guéret “Réduire le nucléaire est un non sens”

L’ingénieur-physicien varois, en retraite, Hervé Guéret, auteur d’un essai sur l’incohérence  de ramener la part du nucléaire à 50% de notre production d’électricité, a bien voulu répondre à nos questions sur un sujet central à l’heure où l’abandon des énergies fossiles devient un impératif climatique d’urgence absolue si l’on veut bien suivre le GIEC et son récent rapport.

RF : Dès l’introduction, vous ne laissez guère planer le doute sur la réponse qui, selon vous, ne nous laisse pas le choix…

HG : “En effet, je pars de l’état économique de notre pays, de la perte de compétitivité à l’exportation de notre industrie en même temps que se développe une croissance considérable  de la concurrence internationale générant un déficit dramatique de notre commerce extérieur.

Ajoutons-y les problèmes d’évolution du climat qui nous contraint à réduire très fortement la production de CO2.

Or ce CO2 est essentiellement lié à la consommation d’énergie, et la consommation d’énergie est liée au PIB, donc au niveau de vie. On va donc vers des temps socialement difficiles.

Nous n’avons donc plus les moyens de nous tromper de stratégie industrielle.

L’électricité est le domaine dans lequel la demande va croître le plus vite, véhicules électriques, pompes à chaleur, production d’hydrogène …, et le seul dans lequel la production d’énergie n’est pas obligatoirement liée à la production de CO2.”

RF : Vous passez en revue deux grandes catégories d’énergie les “pilotables”et les “intermittentes”…Pouvez-vous nous en dire plus ?

HG : “Les pilotables sont celles pour lesquelles il suffit de pousser le bouton lorsque le besoin apparaît, et la source génère de la puissance au niveau désiré.

Dans le pilotable à fort niveau de puissance n’émettant pas de CO2 n’existent que deux sources, le nucléaire (vers 85% de la production aujourd’hui en France), et l’hydraulique (6% en moyenne sur l’année, 15 en pointe).

Dans les non pilotables, on trouve pour l’essentiel l’éolien et le solaire photovoltaïque.

Bien entendu, nous désirons avoir en permanence de la puissance sur le réseau de telle façon que les frigos fonctionnent, que les trains partent à l’heure et que nous puissions travailler.

Les difficultés viennent du fait que le taux de charge des éoliennes sur terre est de l’ordre de 25%, 30 à 35% en mer, et les relevés météo montrent qu’il n’est pas exceptionnel d’avoir un anticyclone sur l’ensemble de l’Europe pendant 8 ou 10 jours. En plein hiver avec des jours courts et un ensoleillement faible, la puissance en renouvelable alors disponible est négligeable.

Si nous voulons ne pas émettre de CO2 dans de telles conditions, donc ne pas redémarrer des centrales à charbon ou à gaz, le nucléaire plus l’hydraulique doivent pouvoir couvrir la totalité de la puissance instantanée sur le réseau.

Et, dans ces conditions, lorsque le vent revient, nous n’avons que faire de cette puissance disponible car le stockage de l’électricité produite par les éoliennes est impossible et arrêter une centrale nucléaire n’apporterait rien. La seule utilisation de la puissance installée des éoliennes est alors  de soulager en période de pointe les centrales hydrauliques si la météo s’y prête. Cette puissance ne peut donc pas dépasser une petite quinzaine de % sur le réseau.

Autre aspect du problème, mettons-nous dans le cas simplifié où toute l’énergie sur le réseau est fournie par des centrales nucléaires mais que les besoins augmentent et que nou souhaitions augmenter la puissance disponible par des éoliennes.Il y a du vent, tout va bien, la puissance disponible a bien augmenté, tout est bien. Le vent tombe et il nous faut démarrer une installation pilotable : nous n’avons pas d’autre solution que des centrales à énergie fossile !

Nous voyons bien les limites des “renouvelables”. Lorsque nous installons des éoliennes nous devons en parallèle installer des centrales classiques qui fourniront 75% des énergies, en carboné.

On est en droit de se poser la question de savoir pourquoi EDF priorise l’énergie des sources renouvelables ?”

RF : Vous dîtes que les filières surgénératrices sont la voie de l’avenir. On n’en prend pas le chemin avec la loi climat-énergie de 2019 qui prévoit de réduire notre dépendance au nucléaire. Sur quoi fondez-vous votre conviction ?

HG : “Pour faire simple, l’uranium est le seul atome présent dans la nature dont on tire industriellement de l’énergie de la désintégration de son noyau, l’autre possibilité partant du thorium n’étant pas utilisée aujourd’hui.

Dans l’uranium tiré du minerai, 0.7% est de l’uranium 235 et 99.3%, donc la presque totalité, est de l’uranium 238, stable.

La filière classique n’utilise que l’uranium 235, et laisse de nombreux déchets à longue durée de vie, de faible volume mais très dangereux, ainsi qu’une grosse quantité de U238 sans aucun danger.

La filière de quatrième génération dite surgénératrice qui a été utilisée industriellement en France avec Super Phénix utilise comme combustible le plutonium, dans un mélange plutonium – uranium. C’est donc la fission des atomes de plutonium qui fournit l’énergie calorifique pour la centrale électrique. Dans cette filière dite “à neutrons rapides”, certains des neutrons issus de la désintégration de ces atomes de plutonium sont captés par les atomes d’uranium présents, qui sont transmutés en plutonium, ce qui reconstitue le combustible plutonium.On brûle donc du plutoniume mais on consomme de l’uranium. N’importe quel uranium, 235 ou 238. On a donc multiplié par 100 l’énergie que nous pouvons tirer de l’uranium.

Remarquez qu’en ajustant la géométrie du réacteur, il peut consommer une partie des déchets de la filière classique en réduisant de façon drastique les déchets de grande durée de vie.

Le stock actuel d’U238 en France, 320.000 tonnes, résidus de la filière classique, permettrait à la France de produire cent fois la totalité de l’énergie produite par nos centrales nucléaires depuis leurs débuts. En clair, nous devenons indépendants de minerais venant de l’extérieur pour quelques siècles.

Nous avions une avance technique et scientifique considérable, les équipes ont été dispersées. Il convient de redonner au CEA et à EDF les moyens de relancer en urgence le projet Astrid, tant que les compétences sont encore là.”  

 

RF : C’est là un objectif politique audacieux et cohérent qui se heurte à une partie de l’opinon publique et d’associations hostiles à toute concession puisqu’elle exigent la sortie du nucléaire. Pour les risques de l’exploitation des centrales et de l’enflouissement des déchets radio-actifs. Que leur répondez-vous ?

HG : “J’y viens dans le dernier chapitre : le risque d’accident nucléaire dans une centrale ne sera jamais nul et nous ne prendrons jamais trop de précautions dans la construction de nos centrales et dans leur fonctionnement.

Mais il convient dans ces conditions de sécurité maximale de peser à leur juste valeur les risques encourus.

Qui sait par exemple que sur Fukushima, le tsunami lui-même a fait de l’ordre de 21 000 noyés, l’évacuation de la zone de la centrale 2 000 morts par accidents divers dans la panique et l’accident nucléaire zéro mort, y compris parmi les agents travaillant sur site et ceux travaillant sur le démantèlement.

Quant à l’enfouissement, la quantité de déchets et leur durée de vie peuvent être fortement diminuées sur les centrales de quatrième génération.

La différence d’ordre de grandeur entre le risque terrifiant de l’évolution du climat et le risque maîtrisable des centrales nucléaires ne permet pas de disqualifier le nucléaire et priver la France de ses efforts, de ses recherches et de leurs résultats concrets en termes de production électrique à un moindre coût comme en termes de rayonnement industriel mondial, il me paraît hautement préférable de continuer à innover et à ne pas faire l’impasse sur un secteur essentiel de mieux en mieux maîtrisé.

Et qui intéresse de nombreux et grands pays en cours de développement du nucléaire civil.”

Propos recueillis par René Fredon

 

PJ

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Interview d’Hervé Guéret ingenieur physicien:”Réduire le nucléaire est un non sens”