Il y a de quoi s’interroger sur la profondeur de la crise dans laquelle les politiques de l’UE enfoncent l’Europe.
Après le retrait du Royaume Uni qui en est une illustration, se poursuit un phénomène de déliquescence des institutions, de leur crédibilité qu’exploitent les gouvernements et partis d’extrême-droite évoluant en son sein.
Après l’émergence en Allemagne d’une formation, l’AfD, entrée en force au Bundestag et qui a réuni, le 27 mai dernier, 5 000 militants à Berlin pour s’élever contre la “faiblesse” de Merkel vis-à-vis des migrants.
Thème fédérateur qui unit des chefs d’Etats, en Hongrie, en République tchéque, en Pologne et des ministres en Autriche sans parler de la nouvelle alliance en Italie, de la Ligue du Nord et du Mouvement 5 étoiles, appelée à diriger le pays et qui affole les marchés, la BCE et Bruxelles.
Au point qu’elle a eu bien du mal à former un gouvernement en raison du véto du président de la République et des instances européennes concernant le ministre de l’économie, très europhobe tandis que le Mouvement 5 étoiles se proclamait pro-européen ! Finalement un accord est intervenu, en deux temps. Et vogue la galère européenne libérale !
Quant à la France, le FN -pardon, le RN- cherche à reprendre l’offensive à l’occasion des élections européennes de 2019 et renforcer l’un des groupes parlementaires des nationalistes les plus extrêmes qui cherchent à faire oublier le type de société qu’ils dirigent ou qu’ils ont en tête. Pas pour contester l’emprise du capitalisme sur les peuples, pour le sauver…l’Europe a connu ça ! Mais ça coince concernant les alliances.
Il y a un an, Romano Prodi, issu de la Démocratie chrétienne, ancien président de la commission européenne et ancien président du conseil italien et du Parti démocrate de centre-gauche, interviewé par l’Express en mars 2017 faisait un constat désabusé(1) :
Question : “Le traité de Rome fête ses 60 ans alors que l’Union européenne traverse la pire crise de son histoire, triste anniversaire.”
- Prodi : “Qui aurait pu imaginer pareil scénario ? Les équilibres européens ont changé. L’Italie et l’Espagne sont en difficulté, la France affaiblie. la Grande Bretagne se suicide avec le brexit…la commission européenne ne joue plus son rôle de coordination. Il n’y a plus qu’un seul “parapluie”, l’Allemagne. L’interlocuteur de la Grèce n’est plus Bruxelles mais Berlin. Les Européens doivent aussi répondre à l’immense défi posé par l’élection de Donald Trump…”
Tout est dit ou presque si ce n’est que ‘Allemagne a dû, à son tour, accuser le coup de l’échec électoral de Merkel, de sa difficulté à composer un gouvernement avec le SPD, suite à l’émergence de l’extrême-droite entrant au Bundestag, une première depuis la chute du fascisme en 1945 !
Car l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) affiche sa radicalité et sa xénophobie sans complexe, comme l’illustrent les propos récents de son chef, André Poggenburg, en réunion publique (2) où il invitait les Turcs “à retourner d’où ils viennent : là où se trouvent leurs huttes en terre et leurs familles polygames ». Dans la droite ligne de tous les partis de la droite extrême qui entend “protéger l’Europe de l’islamisation de l’Occident“, par la manière forte, tout en préconisant le retour aux frontières et aux monnaies nationales, le repli identitaire. Chacun chez soi…le dollar ne demande que ça.
L’élection du parlement européen dans un an, dans les 27 pays qui composent l’UE, sera la première élection en France depuis l’arrivée de Macron au pouvoir, qui a fait éclater les deux partis qui dominaient la vie politique…sur la même ligne libérale : la droite (LR) et le PS.
Cette élection aura d’autant plus d’importance, ici, que le Chef de l’Etat se veut le plus déterminé pour sauver cette Europe en décomposition et donc accentuer l’emprise des marchés sur l’économie au détriment des peuples précarisés, du progrès social, des impératifs écologiques inconciliables avec ceux de la grande finance mondialisée.
Macron a déjà commencé sa campagne en se présentant comme le premier de cordée du libéralisme en Europe, ses concurrents jetés sans nuances dans le camp des eurosceptiques, des europhobes, qu’ils soient progressistes, partisans d’une Europe sociale et écologique des peuples souverains ou nationalistes patentés de l’extrême-droite et d’une partie de la droite ultra conservatrice.
Europe du fric ou Europe des peuples ?
Tel est le piège tendu par les héritiers -de droite et de “gauche”- de cette construction européenne libérale. Ils ont conçu le traité de Maastricht signé par François Mitterrand et approuvé de justesse par référendum, en septembre 1992, par 51% des exprimés, puis ratifié celui de Rome en 2004 pour doter l’Europe d’une constitution rejetée par référendum par la France en 2005. Et celui de Lisbonne sous Sarkozy qui passe en force le 4 février 2008 et fait adopter par le congrès, le même texte rejeté quatre ans plus tôt !
Ce sont de tels actes, bafouant la souveraineté des nations, qui nous ont conduit à un véritable fiasco, aux désillusions des peuples et de la plupart des catégories sociales sous les coups de politiques austéritaires répondant aux exigences des marchés financiers représentés par la BCE.
Une banque centrale prétendûment indépendante des institutions politiques alors qu’elle en est le bras armé.
Il ne s’agit pas de “sauver” cette Europe-là mais de la combattre au quotidien dans la perspective de la refonder dans ses objetifs et ses contenus : au service des peuples, dans le respect de leur souveraineté et de leur libre coopération. Pas au service des marchands et des intérêts privés dominants, préoccupés par le taux de profit de leurs investissements et la rentabilité de leurs actions. Tant pis pour la planète et la santé publique.
Comme tant d’exemples le montrent : celui du glyphosate, cet herbicide cancérogène selon l’OMS et que l’UE s’apprête à tolérer encore dix ans. L’exigence française d’y renoncer dans trois ans ne sera pas dans la loi ! Ou bien encore l’adoption du “secret des affaires” au détriment de la liberté d’informer et de la transparence…pour rester dans l’actualité la plus récente qui fourmille de ces abandons sous la pression des multinationales.
Cette autre vision d’une Europe progressiste, donc anti-libérale, constitue une alternative positive à l’Europe-pour-les-riches que nous subissons et qui a perdu sa crédibilité. Une alternative aux antipodes des objectifs nationalistes, identitaires et xénophobes que promettent les ultraconservateurs(trices) les plus rétrogrades, les plus dangereux pour la cohésion sociale et pour nos valeurs républicaines. Ils n’ont toujours été qu’un recours pour conserver et aggraver le système, c’est-à-dire l’ordre capitaliste dont ils se prétendent les pourfendeurs.
Cette autre vision -pour l’Humain d’abord- ne demande qu’à se concrétiser si celles et ceux qui se réclament de la transformation sociale font bloc pour changer le rapport des forces au sein du parlement européen dans le prolongement des luttes syndicales et citoyennes. Ce qui n’est pas acquis.
Le PPE -qui rassemble les droites et même au-delà- et l’Alliance progressiste des socialistes représentent plus de la moitié des 751 sièges du parlement. 408 exactement et il n’est pas acquis non plus que la liste labellisée LERM compensera les pertes d’un PS éclaté comme les LR. Vu l’état de l’UE !
L’extrême-droite compte 36 députés dans le groupe “Europe des nations et des libertés” dont 16 du FN (Le Pen et Goldnisch siégeant chez les non-inscrits), quatre autres, dont Philippot dans le groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe ELDD.
Quand on mesure, un an après, où nous conduisent, à marche forcée, Macron et sa majorité sur tous les plans, en France et en Europe, vers plus de fédéralisme et donc moins de souveraineté des peuples et des nations, il n’est pas sûr que les Français soient prêts à lui signer un chèque en blanc pour sa vision très sélective de l’Europe qui comble le monde des affaires.
Le besoin d’une construction européenne réorientée vers les exigences sociales et les impératifs écologiques par la maîtrise de la finance, n’en est que plus évident et possible
dès lors qu’on est à l’écoute des luttes et des aspirations populaires à la coopération, à la solidarité, à la fraternité, à la paix…Plus cohérent aussi pour relever les défis à l’ère du numérique, repenser le travail, sa finalité comme celle de la production et de sa propriété, pour mettre les impératifs écologiques au centre de tous les enjeux dans une société de partage.
René Fredon
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