Après une frappe israélienne sur une maison du quartier d’Al-Sabra, dans le centre de la ville, des blessés sont transportés à l’hôpital Al-Shifa, Gaza, 11 octobre 2023. Cette photo de Loay Ayyoub, photojournaliste gazaoui de 29 ans, réfugié en Égypte, est lauréate du Visa d’or de la ville de Perpignan-Rémi Ochlik 2024 pour sa couverture, dans le Washington Post, de « la tragédie de Gaza ».
© Loay Ayyoub pour The Washington Post
À l’extrême droite, le soutien inconditionnel à Israël secoué par la situation à Gaza
Alors que la riposte israélienne tourne à la tragédie humanitaire, la position du RN et ses alliés commence à être interrogée en interne.
Tabou, le sujet titille depuis des semaines plusieurs cadres, qui préfèrent soulager leur conscience en «off» dans la presse. À mesure que la famine se propage à Gaza, et que la riposte d’Israël aux attaques terroristes du 7-Octobre semble chaque jour se muer en vengeance aveugle contre le peuple palestinien, la ligne du Rassemblement national et de ses satellites, affichant un soutien sans faille au gouvernement de Benjamin Netanyahu, se fragilise.
Vice-président de l’UDR, le ciottiste Guilhem Carayon a fait ce que beaucoup n’osent pas faire dans son camp : s’en ouvrir publiquement. Dans un tweet publié mardi soir, le jeune homme interroge la position de sa famille politique. « Mourir de faim ou tomber sous les tirs : est-ce devenu le seul horizon des enfants palestiniens ? », se demande-t-il, estimant que «la France ne peut accepter que les limites posées par le droit international soient chaque jour franchies sous nos yeux ».
L’ancien président des Jeunes LR n’est pas naïf et assure être conscient que sa position « est minoritaire au sein de la droite française ». Mais l’aggravation de la situation rend, selon lui, le silence impossible : « je ne supporterai pas de dire un jour à mes enfants qu’on savait mais qu’on n’a rien dit ». En réalité, la prise de conscience à la droite de la droite devient de plus en plus visible. Début juillet, le journaliste Alexandre de Galzain, officiant à Radio Courtoisie, a publié un billet dans Causeur dans lequel il tance « la faute morale » de sa communauté de pensée. Cité par Libération, le jeune homme assure avoir reçu, « en privé », le soutien de plusieurs cadres RN.
Service minimum
Le mouvement n’est pas circonscrit qu’à l’Hexagone. Outre-Manche, le Daily Express, connu pour ses positions populistes et conservatrices, a publié en Une la photo d’un enfant gazaoui frappé par la famine. « Par pitié, arrêtez ça », intime le tabloïd. Dans ce contexte, la position de Marine Le Pen commence, à bas bruit, à être remise en question en interne. « Après deux ans de guerre, on ne peut pas à la fois défendre la solution à deux États et laisser des civils se faire bombarder et coloniser sans fin », observe un cadre cité dans L’Opinion. Dans Libération, un autre craint de se retrouver « du mauvais côté de l’histoire » quand l’heure des comptes aura sonné.
Récemment, la cheffe de file du RN a donné l’impression de faire un (petit) pas de côté après le bombardement par Tsahal de l’Église catholique de la Sainte-Famille à Gaza. « Les raids israéliens qui ont touché l’église de la Sainte-Famille ne sont pas acceptables. Dans la lutte légitime que mène Israël dans l’éradication des islamistes du Hamas, la population civile ainsi que les minorités religieuses chrétiennes doivent être protégées à la lumière du droit international. Porter cette voix est le rôle de la France », a-t-elle grondé, alors que le Premier ministre israélien lui-même a assuré « regretter profondément » cette frappe.
Une sorte de service minimum qui donne surtout l’impression de ne réagir que lorsque les victimes sont chrétiennes, dans cette enclave martyre à l’écrasante majorité musulmane. Car on touche là le nœud du problème pour le RN et ses alliés : la dimension civilisationnelle de ce conflit.
Pour beaucoup au sein du parti lepéniste, l’État hébreu est la pointe avancée de l’Occident. « La frontière de la France est à Gaza », martèle souvent Julien Odoul, porte-parole du RN et relais complaisant du pouvoir israélien en France.
Une position qui a un double avantage pour le parti d’extrême droite : laver l’antisémitisme qui lui colle à la peau et nourrir le récit d’une guerre de civilisations opposant un monde musulman (perçu comme forcément hostile) à l’Occident. Un récit vendu clé en main par l’extrême droite israélienne, dont le discours confine souvent au suprémacisme.
Raison pour laquelle Marine Le Pen, qui a pourtant longtemps défendu une position gaulliste dite « d’équilibre », s’est retrouvée au mois de mai sur le plateau de la chaîne israélienne I24 News à attaquer frontalement Emmanuel Macron.
La députée du Pas-de-Calais a jugé « indignes » les propos du chef de l’État, qui avait qualifié de « honte » la riposte disproportionnée menée par Tsahal à Gaza.
Et Marine Le Pen d’embrasser la propagande du régime israélien au sujet de la famine qui sévit dans l’enclave : «Israël ne refuse pas de livrer de l’alimentation et des biens de première nécessité à Gaza, il ne veut simplement pas que ce soit le Hamas qui les distribue ». Un discours très éloigné des réalités observées par les ONG sur place.
« Messages d’encouragements »
Depuis, plusieurs enquêtes indépendantes ont montré que l’armée israélienne avait tiré sur des civils venant chercher de l’aide humanitaire, et des déchirantes photos d’enfant la peau sur les os se multiplient dans les médias, tandis que les morts civils dans le territoire palestinien se comptent par dizaines de milliers (sans que la presse ne soit autorisée à documenter ce qui s’y passe). Une situation difficilement défendable sur le plan humanitaire, qui pousse donc plusieurs responsables RN et UDR à revoir leur logiciel.
Auprès du HuffPost, Guilhem Carayon constate avoir « beaucoup de retours positifs » depuis sa prise de position, assurant même avoir « rarement reçu autant de messages d’encouragements ».
Mais pour l’heure, ni Marine Le Pen, ni Jordan Bardella, ni Éric Ciotti, qui affichent un soutien sans faille à Israël, n’ont revu leur position. Mais est-ce seulement possible pour l’état-major du RN, qui a fait de sa position farouchement pro-israélienne la clé de voûte de sa dédiabolisation ? Pas sûr.
Puisqu’un retour en arrière est difficilement envisageable, car il remettrait en cause la sincérité du parti lepéniste à l’égard de l’État hébreu, ce qui pourrait réveiller les procès en antisémitisme et interroger l’authenticité de son repentir à l’égard de la communauté juive.
Mais à l’inverse, ce soutien aveugle se paie au prix de la complicité à ce qui apparaît comme l’une des pires catastrophes humanitaires du XXIe siècle, fomentée de surcroît au mépris du droit international et d’une colonisation très éloignée des aspirations « souverainistes » du RN. Tout le problème quand on renonce à l’équilibre par opportunisme.
Romain Herreros,
journal LeHuffPost