« L’Algérie était une colonie particulière. Une large partie du monde politique français exprimait sa conviction qu’il s’agissait d’une terre française, y compris à gauche », rappelle l’historien.
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Colonialisme français en Algérie : « la ”nostalgérie” s’est transmise de génération en génération », analyse l’historien Alain Ruscio

 

Êtes-vous surpris que les droites macroniste (Horizons) et traditionnelle (« Les Républicains ») aient mêlé leurs voix à celles du Rassemblement national pour voter une résolution dénonçant les accords franco-algériens de 1968 ?

Alain Ruscio

Historien

Hélas non… Il ne faut pas oublier que de Gaulle a été porté au pouvoir par le mouvement Algérie française. Considérant que la guerre ne pouvait être gagnée et qu’elle affaiblissait le rôle de la France dans le monde, il a esquissé un virage dès 1959 pour accepter ce qui était devenu inéluctable. Son prestige a masqué les réticences du reste de la droite. Et dès lors que « le grand Charles » s’est effacé, la « nostalgérie » s’est exprimée publiquement.

Sur les questions coloniales et mémorielles, les convergences avec l’extrême droite ont commencé sous Valéry Giscard d’Estaing. Elles se sont accélérées à mesure que le RN a progressivement lepénisé les esprits. Puis Bruno Retailleau a surgi d’une longue histoire de la droite bourgeoise pour faciliter le rapprochement sur fond d’islamophobie et de racisme anti-Arabes.

Pourquoi, soixante ans après l’indépendance, droite et extrême droite n’arrivent-elles pas à tourner la page de l’Algérie française ?

L’Algérie était une colonie particulière. Une large partie du monde politique français exprimait sa conviction qu’il s’agissait d’une terre française, y compris à gauche avec Pierre Mendès-France ou François Mitterrand. Il existait un large consensus sur la nécessité de « rétablir l’ordre » sur place. Les premiers protestataires, dont les communistes et l’Humanité, ont été isolés, inaudibles et même privés d’expression.

La fin de la guerre ne s’est en réalité pas faite sur l’acceptation de l’indépendance mais sur le thème du retour des soldats qui risquaient leur peau. Dès lors, une majorité des pieds-noirs n’a jamais digéré cette issue et a exercé une pression électorale sur des personnalités politiques, notamment dans le Sud-Est.

Dans ces franges de la population, cette « nostalgérie » s’est transmise de génération en génération. Et ce, jusqu’au gouvernement, puisque le ministre des Transports, Philippe Tabarot, est le fils d’un des principaux dirigeants de l’OAS. En tant qu’historien, je suis effrayé de voir dans les kiosques le nombre de magazines sur l’histoire qui promeuvent une réhabilitation du colonialisme, mêlée à une stigmatisation des immigrés et des musulmans.

Peut-être que la gauche n’a pas été assez vigilante sur ce terrain depuis l’histoire du voile de Creil (en 1989, l’exclusion d’élèves d’un collège de l’Oise refusant d’ôter leur foulard crée une forte polémique, NDLR).

Après l’adoption de la résolution, le groupe Bolloré (CNews, JDD, Europe 1) s’est empressé de relayer un sondage CSA selon lequel 74 % des interrogés seraient favorables à la suppression de l’accord de 1968. Il n’y a pourtant pas 74 % de Français « nostalgériques »…

Certainement pas. Un exposé serein proposé aux Français amènerait un changement d’opinion sur le sujet. Mais, sans qu’aucun spécialiste ne vienne décrypter son contenu, l’accord de 1968 est médiatiquement présenté comme une injustice par rapport aux autres immigrés, un privilège obsolète qu’il faudrait balayer. Je rappelle que cet accord était une demande du patronat français pour obtenir une main-d’œuvre algérienne bénéfique à ses profits.

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A-t-il toujours été remis en cause ?

Cela ne fait que deux ou trois ans que les projecteurs se sont braqués sur cet accord qui est de plus en plus instrumentalisé. Soudain, il est devenu un objet symbolique. L’emprisonnement de Boualem Sansal en Algérie a aussi servi de prétexte pour ajouter à la détestation de l’Algérie.

Pendant les debats parlementaires ,un députe du RN a attaqué la gauche , qualifiée de parti de l’Algerie :

Venant d’un député du RN transpirant la haine et héritier direct du pétainisme, c’est un scandale historique de plus. Ce thème de l’« anti-France » s’est exprimé au moment de l’affaire Dreyfus, où les anti-dreyfusards considéraient que les défenseurs du capitaine étaient les agents de l’étranger.

Ce terme a traversé l’histoire de France, utilisé au moment de la guerre du Rif pour disqualifier les grévistes comme les intellectuels surréalistes qui s’y opposaient, ou pendant la guerre d’Algérie pour parler du Parti communiste.

Vous avez déclaré à Mediapart que nous assistons aujourd’hui à un « retour du refoulé colonial ». Qu’est-ce que cela signifie ?

J’observe une forme de nostalgie de la présence de la France outre-mer comme symbole de puissance. C’est aussi le cas avec Mayotte ou la Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Beaucoup comprennent que la France est passée de grande puissance à puissance moyenne. Longtemps, le fait que « le soleil ne se couche pas sur l’empire français », comme le disait l’expression, était un motif de fierté. Certains tombent dans le « c’était mieux avant ».

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Journal L’Humanite du lundi 03 11 2025

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